J'ai une nouvelle meilleure amie. Elle me fait rire. Et je ne connais même pas son nom.
Je l'ai rencontrée hier alors que j'allais m'enquérir sur les différents moyens à ma disposition pour, du pays des bé-bééééééé et des poireaux, aller dire bonjour aux vahinés(...qui a dit: « j'suis gonflé »?). Voilà. Je souhaiterais emmener ma chérie à Bora-Bora mais, comme ce n'est pas une destination très britannico-populaire, même avec tinternet je n'arrivais nulle part (justement). J'allais donc d'un pas nonchalant mais en voiture quand même, y'a dix bornes, dans l'agence à voyager la plus proche. C'est quand je poussais la porte de l'humble échoppe du deuxième plus gros vendeur de rêves aux senteurs exotiques britannique (le vendeur, pas les rêves), mes muscles saillants sous ma jolie robe bleue, celle que j'aime à porter les jeudis, celle avec le joli petit imprimé là, que je la vit pour la première fois. Dire qu'elle était d'un physique quelconque serait lui faire un compliment. La quarantaine bien marquée, un visage ridé par l'expression d'éternelle surprise du simple d'esprit, des cheveux fatigués arborant une coupe qui aurait pu être à la mode dans les années 80, du coté d'Holdrege (Nebraska), et deux longs bras maigres. Malgré tout, elle rayonnait d'expérience derrière son petit comptoir orange, effet relativement facile à obtenir quand tu es d'au moins vingt ans l'aîné(e) de n'importe lequel de tes collègues et possède une peau blafarde, parfaite pour refléter l'orange. Je m'approchais donc du laideron (à ce moment de l'histoire, ce n'est pas encore mon amie) quand elle me tint à peu près ce langage :
Hello, can I help you ?
...... je comprends votre étonnement, moi aussi j'étais surpris. Elle avait dit bonjour ?! En Grande-Bretagne ?! La proverbiale Albion ne serait-elle plus aussi perfide que l'on aime à le penser ? Hein ? Ah non, vous c'était parce que c'était en anglais... Je vois... Bien. Je vais continuer à écrire le reste de cette conversation en anglais mais grâce à l'incroyable pouvoir de mon esprit, de puissantes ondes télépathiques et une pile 1.5 volt (ne demandez pas pour la pile), vous comprendrez tous les mots et aurez l'impression de les lire dans votre langue maternelle, du moment qu'il s'agit du français.
Donc reprenons.
Elle: Bonjour, puis-je vous aider ? Vous avez vu, ça marche. Incroyable non ?
Moi: Bonjour et bien volontiers. Je voudrais aller en Polynésie française en partant d'ici, ou de Londres si c'est plus simple. Pourriez-vous me renseigner ?
Elle: Ah ben, là, c'est qu'on va avoir un problème, parce que nous, on les fait pas les réservations de train.
...
Moi: Ça tombe bien, la Polynésie française se trouve dans le pacifique sud et je pensais plutôt à l'avion.
Elle: Ah pardon, je pensais que vous vouliez dire les Pyrénées.
Moi: Non non, la Polynésie.
Elle: Pas les Pyrénées alors ?
Moi: Non.
Elle: Ah bon.
Moi: Et oui.
Je commençais à l'aimer beaucoup, moi, cette madame. Je continuais donc dans les platitudes usuelles de ce genre de conversation avec un intérêt renouvelé et une curiosité gentiment amusée.
Où exactement ? Bora-Bora. Combien de personnes ? Pour deux. Quand ? Pas sûr.
Et nous reprenons notre tango verbal :
Elle: C'est que je ne trouve pas d'aéroport international à Bora-Bora moi.
Moi: C'est normal, il n'y en a pas. Le plus proche sera Tahiti.
Elle: Ben... Je ne trouve pas non plus... Je sais, je vais appeler les gens des avions.
Là, elle me dit que ça va peut-être prendre un peu de temps et que si j'ai quelque chose d'autre à faire, je pourrais repasser plus tard... Comment ?! Notre amitié naissante et fragile à peine éclose, et elle me rejetait déjà ? Le cœur déchiré et l'âme lourde, je me levais, prêt à regagner la rue et son anonymat, là où personne ne me fera rire pour au moins cinq minutes. Je me ressaisis soudain. Était-ce une façon de traiter une presque amie ? Non. Je me devais d'avoir confiance dans son professionnalisme et foi dans son expertise. Oui, je reviendrais plus tard. Et oui, cette femme aura toutes les réponses. Les tarifs, les vols, les dates, pourquoi on ne devrait jamais mélanger beurre et nuttela (non, on ne devrait pas, non...), l'hôtel, tout ça quoi.
Je profitais de mon temps libre pour filouter dans une agence voisine où je trouvais toutes les réponses dont j'avais besoin (mais pas celle du nuttela) en cinq minutes. Puis, n'y tenant plus, après quelques emplettes, je retournais voir mon amie qui me manquait déjà.
Elle: Ah, je n'ai pas réussi à obtenir les gens des avions mais j'ai des renseignements pour vous.
Moi: Magnifique.
Elle: Donc voilà, pour le vol, ça devrait couter 1056.64£.
Je parle ici en livres car je parle couramment livre sterling.
Moi: Mais c'est fantastique!
Elle: Oui hein ? Je pensais ça aussi.
Moi: Par personne ?
Elle: Non non, pour les deux.
Quelle n'était pas ma surprise ?! La plus proche estimation que j'avais obtenue était de 1500£ par personne (environ 15000 francs ou ????? euro... mes notions en euro sont si vagues que je n'ai même pas le symbole sur mon clavier). Quelle affaire ? Je savais que cette femme était douée !
Moi: Mais c'est vraiment extraordinaire ?!
Elle: Oui mais attention hein, c'est juste le prix du vol de Londres-Heathrow jusqu'à Haïti.
S'ensuivit une brève pause d'une surprise polie.
Moi: Vous voulez dire Tahiti.
Et là, avec un sourire imperturbable et sans aucune trace d'embarras, elle me répond :
- Pourquoi ? Il y a une différence ?
Après lui avoir brièvement expliquait que oui, une petite comme « ce n'est pas dans le même océan » ( avant que vous ne commenciez, oui, je sais que Haïti est dans la mer des Caraïbes donc techniquement pas dans l'océan Atlantique, mais elle avait déjà du mal avec des idées simples...).
Je l'assurais donc de revenir très bientôt dans sa petite boutique pour de nouveau profiter de son aimable compagnie. Et je m'en allais, béat, me sentant bien dans mes chaussettes et confortable dans ma connaissance de la géographie.
Je pense que je vais y retourner demain. Je vous dis, c'est ma nouvelle meilleure amie. Elle me fait rire...
Pourquoi j'en ai pas, moi, une chouette voyagiste comme ça ? C'est toujours les mêmes qui s'amusent.
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