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Les textes présentés ici sont issus de ma culture biologique. Quelques défauts et autres erreurs grammaticales, syntaxiques et/ou orthographiques peuvent, peut-être (sûrement), avoir subsisté ; que voulez-vous, les produits bio sont rarement parfaits mais n'en ont, paraît-il, que plus de saveur...

...

... et puis on se trouve les excuses qu'on peut.

Merci de votre indulgence.


And, for our English speaking friends, this way please : Jeffw's Inn

(Oh ! And this is a literary blog, by the way)


mercredi 4 février 2009

À mon père

Ce texte a été lu en l'église de Quédillac(35), le vendredi 30 Janvier 2009.


J’aurais souhaité vous adresser quelques mots, à vous tous, assemblés ici aujourd’hui, au nom de ma mère et en mon nom, celui de mes frères et sœurs, au nom de notre famille mais, surtout au nom de Gérard, mon père…
Tout d’abord, merci à vous tous, ses amis, sa famille, les amis de sa famille, d’être venus pour honorer sa mémoire en ce jour et d’être venus nous soutenir dans cette épreuve.
Papa a laissé dans son testament quelques mots qui me semblaient être destinés à un public plus large que les quelques personnes qui seront présentes lors de sa lecture dans l’étude du notaire, qui à priori n’a que quatre chaises… Ces quelques lignes que je vais vous lire en guise d’introduction, évoquent bien, je pense, qui était mon père et qui, malgré un détail technique plus qu’évident, il est encore dans nos cœurs à tous. Voici :


« N’ayez pas trop de chagrin, ma vie, si elle a été bien remplie, n’a pas toujours été à la hauteur de mes espoirs ou de mes ambitions. La vie, du moins la votre, continue et ce n’est pas forcément le plus facile ! J’ai parfois, si ce n’est souvent, pensé à vous, je vous ai toutes et tous aimés à ma manière, d’une façon ou d’une autre et je regrette si j’ai pu vous décevoir ou vous léser.
Votre époux, père et, peut-être, ami.
Gérard. »


Mon père avait le verbe haut et l’amour des mots, qu’il préférait bons, même si souvent il favorisait les gros. Il avait une intelligence aiguë, le sarcasme féroce et l’humour noir et décalé ; traits de caractère dont j’ai hérités, tout du moins de deux d’entre eux, ce qui est dommage, l’intelligence aiguë m’aurait été bien utile durant ma scolarité.
Papa ne souhaitait pas que cette occasion soit larmoyante, lui qui, par-dessus tout, adorait rire et amuser son prochain, ne reculant devant rien pour une plaisanterie ou un trait d’esprit et ne gardant jamais sa langue dans sa poche, parfois au détriment de l’amour propre ou de la susceptibilité de certains, un biais qu’il fallait savoir pardonner et accepter pour vraiment apprécier Gérard et être son ami.
Sous des dehors bourrus, en dépit d’un meilleur mot et pour rester poli, Papa était un homme au cœur énorme, si ce n’est un peu fragile sur la fin, qui débordait d’amour pour ceux dont il avait su s’entourer, même si il n’était pas le plus doué pour l’exprimer ouvertement. Et pour ceux-là il était prêt à tous les sacrifices et aurait marché jusqu’au bout de la terre… ce qu’il a presque fait au court de ses nombreux voyages, favorisant toutefois l’avion.
Comme la plupart des hommes de caractère, il était capable de sentiments extrêmes et, si l’amour, qu’il avait tenace, et l’amitié, qu’il avait durable et loyale, étaient ceux qu’il chérissait le plus, il était également prompt à des ‘fâcheries’ intempestives et sonores et à des bouderies intenses, préférant ne plus parler à certains plutôt que de dire quelque chose qu’il aurait pu regretter… des silences rageurs à durée variable… généralement, six mois.

Gérard aimait la vie. La bonne vie. Celle du bon vin (que l’on préférera de Bordeaux) et du boire et du manger sous pratiquement toutes ses formes. Il aimait ses amis, ses proches, l’art, la Bretagne, qu’il avait connu en temps que réfugié pendant la guerre, la deuxième, et où il était très heureux de revenir s’installer avec Maman… La légende nous dit qu’il y aurait connu ses premiers émois, déniaisé par une fille de ferme dans une meule de foin. Moi qui ais passé une bonne partie de mon enfance en Bretagne également, il ne m’est jamais rien arrivé de tel ; je mets en cause les techniques agricoles modernes, qui favorisent la botte de foin à la meule, pourtant bien plus confortable… Et bien sur, Papa aimait les femmes, cinq enfants et plusieurs mariages seraient là pour en témoigner, mais celle d’entre toutes qu’il aimait et a aimé le plus tendrement, profondément et sincèrement, pour me l’avoir souvent confié, est Michèle, Maman, sa femme et compagne, qu’il a en plus toujours trouvé très jolie, il le lui disait souvent d’ailleurs, ces matins de week-end, au saut du lit, où il s’entendait toujours répondre : ‘Mets tes lunettes Gérard.’ Ah, ses lunettes !... Sans lesquelles il n’aurait pas pu faire grand-chose, mon petit Papa, lui qui physiquement n’aurait pas du voir, énigme médicale qui avait fait s’exclamer un ophtalmo de renom, après un examen et à court d’idée :
« - Mais monsieur, comment faites vous pour voir ?! », ce à quoi Papa avait simplement répondu : « - Par habitude. »
Lui qui se décrivait souvent et brièvement comme : ‘Le gros barbu roux à lunettes’, il est pourtant très difficile, voire impossible, de résumer mon père et sa vie en quelques lignes, il me faudrait pour cela plus probablement écrire un roman, vraisemblablement en plusieurs volumes ; lui qui tirât son destin d’une casquette d’officier, le hasard d’un petit bout de papier qui l’envoyât faire un stage qui changeât sa vie, l’envoyant sur des chemins de traverse qui des années plus tard nous auront réunis TOUS ici aujourd’hui, lui apprenant son futur métier et l’anglais, faisant entrer dans sa vie les radars et sa première femme, amorçant déjà à l’époque son profil avantageux à grands coups de nourriture américaine ; lui qui, par la suite, aura tout fait, militaire de carrière, donc, mais aussi : instructeur, chevalier de la légion d’honneur contre son gré, directeur artistique de cabaret, globe-trotter, ingénieur, barman extraordinaire, bricoleur génial, figurant de cinéma (mais seulement son pied gauche), commercial, entrepreneur, cuisinier hors-pair, et bien sur, mari, père et grand-père aimant, ami de tous… sauf des cons.
Il laisse derrière lui un gouffre, un vide béant, que je vous invite néanmoins, nous tous, qui l’aimions et qui l’aimons toujours, que je vous invite, donc, à combler avec les souvenirs les plus chers que vous avez de lui… pour aide mémoire :
Le Ranch et les spaghettis bolognèse d’un soir. D’un jour d’été si chaud où il ne pouvait pas enlever sa veste en laine car son gilet n’avait pas de dos.
Les mariages… et l’offre généreuse qui coupât court à toutes enchères pour la jarretière…
Ses discours, même les plus brefs ; ses conseils, les bons… et les mauvais.
L’Australie des rouflaquettes.
L’Afrique du Sud des piscines peu profondes.
Les parties de cartes endiablées, que ce soit le poker, le tarot, le rami…
Les nuits à refaire le monde.
Toute l’aide qu’il a pu nous apporter, toujours de bon cœur, quoi qu’il en ait dit.
Les couscous, les blanquettes et autres terrines de lapin qui donnaient toujours l’occasion de grands repas de famille et de grandes réunions d’amis…
Ne chérissez pas ce sentiment d’absence atroce qu’il laisse derrière lui mais repensez plutôt à tous les meilleurs moments que vous avez partagés avec lui. Personnellement, j’en ai des tonnes.
Pour finir, je repasserai la parole à Gérard qui, dans une lettre qu’il nous a laissé, concluait ainsi :


« Par-delà, un peu ému je l’avoue en ce moment même, j’adresse mes tendres pensées à toutes et à tous sans oublier quiconque, ni humains ni bêtes. Pas de chagrin inutile, continuez, vivez, nous y passerons tous ! »


Explication de texte...

... pour ceux qui n'auraient pas tout compris dans À mon père...


« Le Ranch et les spaghettis bolognèse d’un soir. D’un jour d’été si chaud où il ne pouvait pas enlever sa veste en laine car son gilet n’avait pas de dos. »

Dans les années 60, à peu près quand mes parents se sont rencontrés... en fait, juste quand mes parents se sont rencontrés, il existait dans le sud de l'Essonne un endroit plus ou moins à la mode appelait Le Ranch. Une sorte de centre hippique mâtiné décors de cinéma dont le thème plus qu'évident était Western. Le tout était géré à la bonne franquette pour une bande de copains, dont papa, sous la férule de l'ami commun de tous et propriétaire des lieux, Jean-Pierre, une sorte d'ersatz de Bernard Tapis, grande gueule et plein de désillusions de grandeur, collectionnant les disputes avec tout le monde puisqu'il avait toujours raison... le genre de type qui, si il t'emmène dans un restaurant est forcement le meilleur du monde... Mais là, ça allait, après tout c'était les années 60, tout était plus relaxe... Fait presque intéressant, on pouvait y croiser à la même période les parents de Vanessa Paradis, avant même que son papa n'ait sa fille et l'idée qui fit la fortune de la famille, les poutres Paradis (véridique ! Demandez à Google...) ; mais, plus important, mes parents fréquentaient tout deux l'endroit, depuis plusieurs années, avant de se rencontrer... et se sont en fait rencontraient dans un petit café parisien de la rive gauche, allez comprendre...
Bref. Papa, pour payer la chambre de bonne qu'il y occupait et qu'il retapait dans ces moments perdus, faisait occasionnellement le barman dans ce fameux Ranch ; et avec toute la panoplie cowboy, incluant le fusil de chasse à canon scié sous le comptoir et tout et tout... ça ne rigolait quand même pas à l'époque, dans le sud Essonne... Un soir qu'ils n'y attendaient personne, un Dimanche, et que mon père et le cuistot tapaient le carton sur le coin du zinc, quelle ne fut pas leur surprise de voir passer les portes de leur saloon, un couple de touriste s'enquérant sur la possibilité de manger un bout... et bien sûr, rien dans le frigo, rien sur le menu et Jean-Pierre encore par monts et par vaux. Après une brève réunion en cuisine et une courte fouille des placards du fond, mon père retourne annoncer aux baguenaudeurs affamés qu'il y avait des spaghetti bolognèse (ils avaient trouvé de la viande hachée, des pattes, une boite de tomate... avec quelques herbes le cuistot, bien qu'allemand, était assez confiant de pouvoir produire quelque chose qui ferait blêmir d'envie les clients d'un restoroute), est-ce que cela ferait l'affaire ?, une proposition qui fut accueillie avec un sourire appréciateur. Ça cuisine, ça mange, ça paye, tout le monde est content et se sépare bons amis.
Le lendemain, à son retour, Jean-Pierre est bien étonné de découvrir qu'ils ont eu deux clients et demande benoîtement : " Mais ?... Qu'est-ce qu'ils ont mangé ? "
- Mon père : Des spaghetti bolo.
- J-P : Avec quelle viande ?!
- Mon père : celle du frigo.
- J-P : La viande du chien ?!!
- Mon père : ...
- Le cuistot : Ben... ils ont aimé...

En 1968, en Juillet et au même endroit, Jean-Pierre épousait son hôtesse de l'air de fiancée, dans un grand mariage western, avec toutes les fioritures. Le mariage aurait dû figurer dans Paris-Match mais un événement plus royal les coiffât au poteau ce jour là... mais il m'en reste quand même une fort jolie photo de papa et maman dans leurs beaux atours de l'ouest lointain qu'avait prise le photographe du magazine. Ce jour fut également le plus chaud de l'année... ce qui fit amèrement regretter à mon père le costume qu'il avait loué à un costumier de théâtre... surtout le gilet sans dos et, donc, la veste en laine qu'il ne pouvait pas retirer.


« Les mariages… et l’offre généreuse qui coupât court à toutes enchères pour la jarretière… »

Mon papa à moi abhorrait la vulgarité (mais pas la grossièreté, il ne faut pas confondre, merde, quoi...) et trouvait la tradition de la jarretière, ce strip-tease sponsorisé et graveleux de la mariée, fortement déplaisante, pour peu qu'il ait eu la jeune épousée en affection. Après cinq minutes de beuglement gutturaux des mâles avinés présents au mariage d'une cousine de maman :
- 10 francs ! (... et oui, à l'époque tout le monde parlé encore couramment le franc...)
- Ouaaaais !!
- 50 francs !
- Plus haut !
(en bruit de fond une chanson du genre : Allez Marie, montre-nous tes fesses ! Allez Marie, montre-nous ton c...)
- Ahahah !
- 70 francs !!
- Oooooh !...

... ne pouvant plus supporter ses enchères salaces, mon père, agacé, déclarât d'une voix calme mais sonore : 5000.
Ce qui coupât court à toutes surenchères et permis à tout le monde de passer à autre chose... et surtout épargnât un embarras croissant et plus que visible à Marie-Claude.
Il payât, bien sûr, rubis sur l'ongle.


« Ses discours, même les plus brefs »

Un discours surprise et très court le jour de mon mariage... mais celui-là, je le garde pour moi.


« L’Australie des rouflaquettes. »

Quand nous avons tous vécus en Australie, pendant deux ans, Papa arborait une paire de rouflaquettes d'un roux flamboyant impressionnante qui aurait rendu une carotte malade de jalousie... Mais bon, mon père avait une bonne excuse, c'était les années 70.


« L’Afrique du Sud des piscines peu profondes. »

Quand il avait mon âge, papa, alors jeune ingénieur électronicien, avait été envoyé, seul, en Afrique du Sud pour un chantier (il travaillait dans les radars et télécommunications pour l'aviation civile). Là-bas, il avait rencontré une famille française qui avait à sa tête une mère juive comme on en fait plus et qui avait instantanément décidé de prendre sous son aile ce pauvre petit oisillon tombé du nid... un oisillon de plus de 90kg mais que voulez-vous, ça ne se contrôle pas l'instinct maternelle...
Un soir de beuverie avec le mari de la dame en question et un troisième larron, rentrant fort tard au logis, nos trois compères passaient non loin de la piscine quand ils eurent, bien entendu, une idée de génie et des envies galopantes de natation. Après avoir jeté leur compagnon, qu'ils portaient entre en deux, le pauvre ayant apparemment momentanément perdu l'usage de ses jambes, à la baille et dans un plat monstrueux, et que Georges se fut mollement laissé tomber dans l'eau tiède et invitante, mon père, plus fort que tout le monde, décida de plonger !... Et se cassa le nez pour la quatrième fois de sa vie. Il faut toujours croire les écriteaux qui disent de ne pas plonger dans le petit bassin.


Quant au reste des anecdotes, je suis sûr qu'elles s'expliquent d'elles-mêmes...




Gérard, Henry, Raymond Cuvillier.
1931 - 2009

Au revoir Papa.